1.1. Qu’est-ce-que la Prospective Régionale ?
La prospective régionale est l’application de la méthodologie prospective à une région au sens d’entité regroupant plusieurs pays au sein de l’espace continental ou intercontinental. La méthodologie procède par exploration ou par évaluation prospective des certitudes et des incertitudes selon la disponibilité ou non de données et de modèles. La démarche consiste à faire le tri entre ce que l’on sait (kown) et ce que l’on ne sait pas (unknown) pour reprendre sans pour autant s’y réduire la typologie de la Nasa/Arc (On space exploration and human error, 2006), issue de l’aphorisme de D. Rumsfield et popularisée par la taxonomie X-Events (Four Faces of Tomorrow, Oecd, 2011).
Le tri mobilise quatre types d’outils à travers le séquençage des exigences majeures et des réponses possibles, pour classer les exercices de prospective régionale en deux catégories selon le mode et le niveau de propagation des résultats obtenus. La distinction porte sur la nature du problème traité (qualitatif/quantitatif, existence ou non de modèle), l’ampleur des retombées (disponibilité des résultats au niveau de pays, secteurs ou autres régions) et la capacité d’absorption (possibilité ou non de les répliquer à d’autres niveaux ou de les intégrer dans l’action publique).
La première regroupe les exercices sur les certitudes et les incertitudes radicales de très long terme.
L’outil « mégatendances » identifie les certitudes (known known) d’ordre démographique, environnemental et socio-économique. Chaque megatendance contient un invariant (vieillissement de la population, événements extrêmes ou anthropocène, explosion des inégalités) tout en étant exposé à des facteurs de rupture (Wild Cards, Schoks Mit, Black Swain) qui émettent des signaux faibles dont les ultra-traces doivent être scrutées en permanence même si les chances de détection sont infimes.
L’outil « questions clés» identifie et classe les incertitudes radicales (unknow unknown) selon leur poids : mondialisation, géopolitique, régionalisation, étendue des disparités, résistance des populations, répartition de la pauvreté… Chaque incertitude radicale appelle des réponses qui s’organisent autour d’un jeu d’hypothèses dont la combinaison construit des scénarios et inspire des récits.
La première catégorie regroupe la plupart des études globales, transversales et épistémiques dès lors qu’elles se diffusent depuis un pays, une organisation ou une communauté de pays pour en incorporer d’autres. Ces exercices se caractérisent par la lenteur dans la propagation des résultats et par de faibles retombées car ils nécessitent des capacités d’absorption qui font souvent défaut. Les initiatives et programmes de type capacity building censés promouvoir ce type d'exercices sont encore inexistants.
La seconde catégorie prolonge la première et y incorpore l’enjeu sur le moyen/long terme, les acteurs en présence et les défis à relever à court et moyen terme. L’outil « enjeu/acteurs » - multidimensionnel par définition compte tenu de lien avec la souveraineté - cerne les incertitudes conflictuelles (unknown known), d’ordre militaire, monétaire, fiscal, industriel, académique et cyber. Les acteurs s’affrontent autour de l’enjeu, mobilisent une palette jeu/but/cibles pour faire avancer un agenda de préférence structuré autour de thèmes fédérateurs d’une vision en permanence exposée à des facteurs de rupture et à des jeux d’acteurs en présence.
L’outil « défis à relever » liste les incertitudes consensuelles (known unknown) telles que les menaces qui pèsent sur une région et les opportunités qui se présentent. Les menaces découlent pour l’essentiel de fléaux tels que la corruption orchestrée par des groupes d’intérêt à agenda privé et la médiocrité qui provoque l’exode des jeunes talents. Les opportunités quant à elles se résument à la plateformisation et ses promesses en matière de sciences et d’innovation ouverte et à l’intégration autour de blocs régionaux. Chaque défi suppose l’évaluation des capacités/vulnérabilités face aux menaces (se protéger/les réduire) et opportunités (à saisir/valoriser) pour mettre sur la table les options stratégiques, définir le processus politique et la capacité cyclique. Ces deux dernières aventures sont sans doute les plus complexes car elles plongent la prospective dans le champ des paradigmes qui structurent l’analyse de politique autour d’un noyau dur et d’une ceinture protectrice. Elles requièrent une bonne maitrise de la portée et des limites des différentes approches du cycle politique et mode d’articulation avec le cycle de transformation.
La deuxième catégorie regroupe la quasi-totalité des études nationales, territoriales et sectorielles, même quand elles affichent une prétention régionale ou intègrent les résultats issus de la première catégorie. Elles se caractérisent par la propagation des résultats à sens unique à partir d’acteurs qui réduisent la prospective à une arme de construction de leur puissance par la maîtrise du futur et de préservation du statu quo. La capacité d'adoption (vision) et la capacité de projection (options) ou les actions de type nation building y contribuent quand elles se contentent de répliquer la planification par scénarios et de favoriser la diffusion d’arguments, discours, narratifs et biais cognitifs à d’autres pays ou régions autour de métaphores et concepts tels que TINA, Dialogue, Partenariat, New Deal qui invitent leurs dirigeants à scruter le ciel dans l’espoir de faire atterrir des milliards de $ dans leurs poches.
1.2. Pourquoi l’Afrique ?
L’importance de la prospective régionale en fait un pont indispensable entre la première et la deuxième catégorie d’exercices. Néanmoins, le contraste est saisissant avec le peu d’intérêt que suscite la démarche depuis l’entrée de la prospective dans l’ère dite « moderne », marquée par sa réduction à une boîte à outils dont l’usage exclusif serait réservée à quelques contributeurs et par l’explosion des études nationales et sectorielles. Si cette approche centrée sur la futurologie (années 40) et la dynamique des systèmes (années 70) sert de référentiel à plusieurs centaines d’études nationales et globales à partir d’un nombre réduit de pays, elle suscite de plus en plus des controverses sous l’effet de crises et chocs non anticipés et tombe dans les travers de la tradition antique selon laquelle tout est « écrit d’avance » et que la maîtrise du « futur des futurs » est « possible ».
Plusieurs vagues d’exercices de prospective régionale se propagent pourtant depuis l’Afrique dès les années 90, disparates en apparence mais dont le point commun est le recours à « l’architecture de grande échelle (AGE)». Du fait de leur simple existence, ces exercices comblent le triple déficit de la prospective qui continue de faire l’impasse sur la région au profit des études nationales et globales, oublie la recherche au point de réduire la démarche à une simple boite à outils, altère l’image de l’Afrique réduite à un continent à la dérive et sans avenir. Ils neutralisent ainsi les biais d’ancrage qui persistent à dénier à l’Afrique toute contribution à cette prétendue « ère moderne »..
Les thèmes abordés inscrivent la région dans un contexte multi-spatial et multi-temporel. Ils couvrent un large spectre allant de l’intégration monétaire à la finance climatique en passant par la régionalisation, l’insertion dans le système international, l’université africaine, la science et ses réseaux. Ces exercices s’inscrivent dans la vision humaniste qu’avait de la prospective G. Berger, le père fondateur. Ils consacrent le retour aux sources des quatre principes que fédère la notion de « distance prospective » : distance dans le temps (voir loin) ; distance dans l’espace (voir large) ; profondeur et étendue de la distance ( analyser en profondeur ; prendre des risques) ; concentration et spécificité de la distance (penser à l’homme). Ils rétablissent la place de l’Afrique en tant berceau et précurseur de la prospective régionale. Ce qui n’a rien d’étonnant pour un continent unique en son genre de par son histoire, sa taille, sa population, son niveau de développement, sa diversité, sa structure en zones, blocs et groupements de pays sans équivalent sur les autres continents.
L’ère moderne de la prospective dérive depuis trois décennies vers la télépathie synthétique et l’illusion lyrique quand elle programme en 2022 des « guerres africaines » et en 2024 une ONU de 297 membres. Il est temps de la revisiter.
2.1. Revisiter l’ère moderne de la prospective…
La prospective transporte dans le temps et dans l’espace, condition nécessaire pour être présent dans les scénarios mais non suffisante pour construire le futur c’est-à-dire trouver la distance prospective qui permet d’être un acteur et surtout de le rester face aux dommages que l’épreuve du temps et de l’espace infligent aux multiples exercices de prospective et qui leur confèrent néanmoins une curiosité. Cette distance prospective touche à la réalité en même temps qu’elle la contemple de loin. Aussi requiert-elle, d’une part la suppression de toute distance temporelle et spatiale finie, intérieure, sensible (niveau pays, horizon, plan), de l’autre le transport à la distance multi-spatiale et multi-temporelle (niveau global, ondes longues ou cycle) infinie, extérieure, suprasensible. Elle transporte l’espace-temps de l’imagination, permet de marcher sur terre tout en vivant dans les étoiles, de se déplacer dans une sphère instantanément et continuellement, de s’élever sans perdre le sens des réalités.
Les tentatives de qualification de la prospective abondent à mesure de son déploiement dans le monde : histoire au futur, présent au futur, futur construit, science du pro-actif et des systèmes, méthodologie d’analyse de politique et démarche de transformation, approche de l’anticipation, outil de spécification des exigences majeures et des réponses possibles. Mais la question de la définition se pose toujours dès qu’on veut s’extraire des stratégies de capture par des groupes d’intérêt qui en ont fait leur business.
Les premiers exercices de prospective au sens de futurology remontent aux années 40 au sein de la Rand Corporation qui a mis au point la Méthode Delphi. Ils sont conduits à l’échelle nationale, d’abord aux USA et ailleurs au cours des années 60. Le déploiement au niveau régional et mondial est cependant freiné par les chocs pétroliers (72-78) puis la chute du mur de Berlin, deux ruptures qu’aucune étude, modèle de prévision ou d’analyse de système n’avait prévu.
Trois exercices se distinguent par leur prétention globale d’autant plus discutable qu’ils sont commandés par un pays (USA, Pays Bas), un groupe de pays (Ocde) ou une entreprise (Shell). Leur principal apport est d’ordre méthodologique : la dynamique des systèmes pour les « Limites de la Croissance (MIT/CPA, Club de Rome, 1972) », la planification par scénarios (Anglo-Dutch Shell, 1971), la prospective préventive (Interfutures, OCDE, 1978) et Central Bureau of Planning (Pays Bas,1991).
Ce n’est qu’à partir des années 90 avec le Millenium Project (1994) que plusieurs institutions tentent de renouer avec la démarche au sein de l’Onu. Hors d’Afrique, la prospective régionale commence à exister en Europe à partir de 1999 (Scénarios Europe 2010). D’autres exercices du type « Global Trends » démarrent en 1997 à la Banque Mondiale (World Economic Prospects 2020) et à l’Ocde (le Monde en 2020). Ce dernier exercice identifie pour la première fois l’Afrique comme une entité non dissoute dans le Reste du Monde ou au Sud, sans pour autant lui conférer le statut d’acteur ; tout au plus un enjeu ou une proie.
2.2. . …en dérive vers la télépathie synthétique et l’illusion lyrique
« L’ère moderne » est surtout émaillée d’oublis et d’altérations qui affectent la région dont l’Afrique et la recherche dont l’apport de G. Berger. A titre d’exemple, le recensement effectué par Michael Keenan et Rafael Popper, couvre 860 exercices dans six régions du monde (Amérique du Nord, Amérique Sud, Europe Nord, Sud, Est et Asie), toutes relatives à un pays sauf une consacrée à l’Amérique du Nord en tant que région (Comparing foresight “style” in six world regions; 2008). Une autre étude publiée par The Association of Professional Futurists (APF) (The Future of Futures Andrew Curry, editor, 2012) sélectionne 57 publications pour en extraire 16 lauréats du fait d’une contribution jugée suffisamment décisive pour rompre avec 10 mille ans de voyance (pythie), prophétie (oracle) et prédiction (sybille) et basculer dans « l’ère moderne » au XXe siècle. Ces deux exemples illustrent à suffisance l’oubli de la région et de la recherche.
G. Berger (1896-1960) est exclu de la seconde alors qu’il est l’inventeur de la prospective, le premier à l’écarter de la prophétie et de la futurologie, à la distinguer de la prévision, à l’élever au rang de discipline dotée d’une école de pensée, de disciples et de règles de conduite et à créer une revue du même nom en 1959. Sans doute était-il trop quarteron au goût des auteurs. Ces derniers ne font d’ailleurs que confirmer le traitement réservé à la recherche dans le pays d’adoption de G. Berger : ses disciples y sont aussi nombreux que les applications et les tentatives de récupération à l’aide de métaphores (art de la conjecture, futurs possibles), de concepts caméléon (futur des futurs), de procédés rustiques ( prospective stratégique). C’est seulement un demi-siècle après sa disparition que la prospective y est consacrée comme école de pensée, cercle de réflexion et titre d’une nouvelle revue. A l’évidence, tous ces oublis manifestent la volonté de faire de la prospective un fonds de commerce, d’où le choix porté sur B. de Jouvenel un de ses disciples pour figurer parmi les principaux contributeurs. P. Musso est à ce jour, l’une des rares voix à s’écarter de cette dérive quand il invite à « cesser de partir des prospectives industrielles et technologiques qui sont souvent un sous-produit du marketing » (Territoires et cyberespaces en 2030, Diact, 2008).
Les contributions célébrées par l’APF relèvent davantage de la prophétie auto-réalisatrice en continuité avec la tradition antique. Non contentes d’oublier la région, ces approches enferment l’Afrique dans un déterminisme rigide, ne retiennent du continent que la dimension démographique, les ressources disponibles et les modalités d’accès. Elles relèvent tout au plus de la prospective pythique ou oraculaire selon que l’approche est qualitative ou quantitative, les deux ayant en point commun l’extrapolation des tendances lourdes. La première est illustrée dès les années 50 par le Rapport Palley remis au Président Truman « Resources for freedom ,1952 » qui fait de la croissance démographique africaine une menace sur l’approvisionnement en ressources de la planète. A l’aide du modèle Dynamo de J. Forrester « Les Limites de la Croissance (MIT/CPA 1972) » confirment cette hypothèse devant le Club de Rome. La prospective exploratoire de type « unknown-unknown » cède ainsi la place à la prospective préventive (known-known) domaine de prédilection de la dynamique des systèmes et de leur transformation par la multiplication de cycles fondés sur l’analyse des processus politiques en terme de réseau.
L’oubli de la région et de la recherche est d’autant plus surprenant que plusieurs exercices de prospective régionale avaient été initiés dès les années 70. Le plus ancien (A Tragedy of Commons in the Sahel, MIT/CPA, 1972) est conçu comme un Oracle Électronique avant d’inspirer une dizaine de produits dérivés publiés depuis l’Europe sous diverses appellations pour anéantir tout perspective de développement de l’Afrique et garantir l’accès libre aux ressources du continent au nom de la tradition démo-ressourciste. Au cours de la même période, des instances régionales voire internationales ( Oua, Ocde, Cilss, Club du Sahel) lancent des travaux sur l’Afrique qui relèvent davantage d’aspirations ou de projet d’initiatives sans assise prospective.
L’image à long terme de l'Afrique au sud du Sahara (ILTA, 1984) plutôt négative s’est donc progressivement instillée dès les années 70 derrière une série d’exercices de l’Oua à l’horizon 2000 qui relèvent davantage de la prophétie auto-réalisatrice que des « forecast studies ». Ils servent de courroie aux programmes d’ajustement structurel pour atteindre les pays après avoir assombri les perspectives de développement de l’Afrique (Colloque de Monrovia, 1979), avant de délégitimer le Plan d’action de Lagos (1980) avec le Rapport Berg (1981) et l’étude ILTA (1984). Les autres travaux de prospective nationale à prétention régionale ou globale initiés depuis l’an 2000 par les grandes puissances n’entrent pas en ligne de compte, étant pour l’essentiel conçus en réaction ou en réponse aux différentes vagues de prospective régionale qui se propagent en Afrique entre 1990 et 2010.
En fait, c’est la quasi-totalité des exercices nationaux à prétention globale réalisés au XXe siècle dans les « six régions du monde » retenues qui reprennent la même antienne sur l’Afrique : du « rapport sur les tendances sociales (W. Ogburn, 1933 » remis à F. Roosevelt Président des USA et considéré à tort ou à raison comme l’avant courrier de l’ère moderne de la prospective à celui sur « le Monde en 2020, Ocde, 1997 » qui pour la première fois, esquisse une vision unilatérale pour l’Afrique.
2.3. La décennie 20 sonne le glas de « l’ère moderne » de la prospective
Le Complexe Miltaro-Indutriel-Académique-Monétaire (MIAM), à la demande de la défense américaine va même plus loin (J. Marguin, 1999, P.14) quand en 1996 il programme au sens militaire du terme :
- 2022 : guerres africaines ;
- 2024 : 297 pays admis à l’Onu (contre 197).
La Chine aurait dû en dévoiler 15 autres en 2006 ce qui n’est pas encore le cas malgré la pression exercée sur Xinjiang et Taiwan, tandis que les autres régions du monde sont à l’abri de l’atomisation tant que leurs ressources sont en accès libre. Il ne reste plus que l’Afrique pour y doubler le nombre de pays à partir des cibles les plus rémunératrices que sont les zones Centre (Grands Lacs), Nord (Libye) et Ouest (Sahel). Il est attendu des minuscules complexes Miam des alliés/vigiles/supplétifs une mobilisation pour réaliser ce programme en 2022.
La Télépathie Militaire ou Synthétique de Sydney Shaschnow, conçue en 1992 selon des sources variées dont A. Toffler (Guerre et contre-guerre, Fayard, 1994) et H. Coutau-Bégarie (Traité de stratégie, 1999, Economica), fera le tri entre ceux qui maitrisent les modèles d’analyse interprétative voire discursive, en vue de sanctionner ceux qui restent à la traîne. Ces derniers font déjà l’amère expérience entre autre avec l’affaire Aukus et le retrait de l’Afghanistan. La récente course au sein de la nouvelle Triade (Usa/G7, Russie, Chine) à qui peut provoquer le plus de débris dans l’espace relance le défi de l’atomisation. Seule la Russie relève pour l’instant ce défi, comme pour affirmer sa capacité à en créer autant que nécessaire pour retrouver sa grandeur. La réaction de la Chine se fait attendre : rejoindre les dyarchies mêlées au sein de la Triade (tous des Huns !) ou programmer l’obsolescence de ce non-système en annonçant son retrait du Conseil de Sécurité et l’avènement de l’Organisation des Régions Unies (vive l’Oru !).
La programmation des guerres africaines et autres conflits ne doit pas être prise à la légère car elle s’inscrit dans le processus de dépossession des anciennes colonies en échange de l’aide Marshall en vue de l’accès libre aux ressources tel que suggérés par tous les rapports qui ont suivi, de Palley (1952) au Mit/Cpe (1972). Dès lors qu’elle est conçue comme une mégatendance, l’application de l’Architecture de Grande Echelle permet de réaliser un test de robustesse et d’impact en commençant par piéger les ultra-traces de l’atomisation programmée, scruter les signaux faibles en forme de débris, localiser les facteurs de rupture des frontières actuelles et identifier l’invariant.
Commençons par décentrer le regard en appliquant cette démarche à la « cacophonie numérique dès 2015 P.13 » - une autre programmation de la défense américaine - pour piéger ces ultra-traces. Les Gafam se livrent à une concurrence acharnée pour être la meilleure incarnation de la figure de l’entrepreneur politique dans sa forme la plus repoussante, combinant « homme fort », « téléologie » et « transhumanisme ». La dernière étape est cette course folle vers « métaverse » au point d’oublier qu’ils découlent tous de modèles de « Met@-organisations » (D. Ettighoffer & P. Van Benden, Village mondial, 2000). Cet avatar déraille l’initiative SCaN de la Nasa et éparpille toutes sortes de débris transformant la cacophonie numérique en « Eaux Usées qui se prennent pour du Zem-Zem ».
La ressemblance avec l’emprise démoressourciste qui s’exerce pour atomiser l’Afrique est troublante. Dans la foulée du programme de la défense américaine, l’Ocde expose sa vision pour l’Afrique (Le Monde en 2020, 1997) qui se substitue à celle des Nations Unies énoncée dans la Déclaration du Millénaire (2000) à travers le concept de partenariat entre riches (américains, européens…) et pauvres (africains) en vue de les assigner définitivement dans ce statut. Les dirigeants africains y adhèrent spontanément, l’interprètent comme un gage de New Deal à travers la « Nouvelle Initiative Africaine » avant de se faire dicter les termes du Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique (Nepad) au Sommet de Gênes. Mais une évaluation prospective pluraliste sous forme de Plan d’Action pour la mise en œuvre du Nepad (2007) envoie un signal faible au G7 et teste sa capacité d’absorption. Y voyant une menace sur sa suprématie, ce dernier transpose en Afrique les interventions militaires successives de type « Desert Sabre, Desert Storm » en vue d’élever le continent au rang de « menaces hybrides » derrière les trois « i » (immigration, insécurité, identité). Dans la foulée, les suprématistes, guerriers solitaires et autres nostalgiques d’appel d’empire mobilisent tous les laissés-pour-compte de la guerre de niche permise par la Télépathie Synthétique, dissuadent les dirigeants des pays d’origine de les accueillir et les orientent vers l’Afrique : entrepreneurs d’opérations spéciales issues de l’ouest asiatique démobilisées après le retrait soviétique de l’Afghanistan, gardiens de l’héritage colonial déguisés en seigneurs de l’agression transfrontière, mercenaires de la purification ethnique, commandos de terroristes, réseaux de preneurs d’otages, trafiquants d’armes de destruction massive, d’êtres humains et de stupéfiants, cybercriminels, promoteurs de conflits ethnolinguistiques, racketteurs de vivres et de médicaments, délinquants financiers, milices confessionnelles…
Mais toutes ces espèces invasives provoquent des débris qui rendent caduques nombre de concepts géopolitiques ou économiques tels que la distinction de type Heartland/Rimland, Nord/Sud, Ocde/G77, Usa/Row (Reste du Monde), Indopacifique/Sud Méditerranéen. Les signaux faibles en provenance des différentes régions du monde ne permettent plus de localiser les débris dans les pays riches ou dans les pays pauvres mais dévoilent leur atomisation sous l’effet, non pas de conflits mais de l’insuffisante capacité d’absorption de la prospective régionale qui se propage depuis l’Afrique derrière quatre vagues repoussants toutes sortes d’obstacles.
A partir de 1990, plusieurs vagues d’exercices régionaux se propagent en Afrique et dans une moindre mesure en Europe ou les initiatives de la Commission Européenne sont cependant considérés comme des échecs. Le premier, « Scénarios Europe 2010 ; 1999 » est accusé de manquer de rigueur. tandis que « The world in 2025 ; 2009» est toujours inachevé. Ces deux exercices font les frais de rivalités entre experts , des querelles d’égo entre clochers & minarets, inévitables quand la prospective est réduite à une boîte à outils soumise à des conditions d’utilisation restrictives derrière un seul et unique modèle de système au risque d’enfermer le processus politique dans un cycle unique découpé en séquences à renouveler pour conforter l’adage selon lequel l’Europe n’avance qu’après chaque crise. C’est ainsi qu’elle s’enferme dans l’illusion lyrique.
La propagation de la prospective régionale en Afrique s’organise en 4 vagues non téléguidées depuis un pays et toutes à l’initiative des Nations Unies (Cea, Secrétariat Général, Pnud et Acbf). Elles brisent d’abord le tabou qui entoure la base du complexe Miam, dernier vestige d’Europe Barbare, ce Syndrome d’Illusion Lyrique Darwinien Acquis (Silda) se penchent sur les questions clés que sont la mondialisation et l’intégration régionale, propulsent l’Afrique dans le XXIe siècle à différents horizons, écartent des pièges et autres attaques par déni de souveraineté.
La propagation respecte les modalités classiques de toute innovation disruptive. L’incorporation de la méthodologie dans des initiatives, plans, programmes et projets, suivi de l’évaluation prospective des différentes retombées déclenche la sortie de la longue période d’austérité par le développement des capacités dans les secteurs clés (exécution de projet, entreprise à fort potentiel de croissance), impulse la transformation de l’Afrique à l’horizon du XXIe siècle à partir de pays (9e Podes) et des Building Blocks (CERs, Uemoa, Cemac). L’approche favorise la création de masse critique de professionnels, experts et chercheurs dans des domaines aussi variés que l’analyse de politique (Idep), la gestion et la finance de marché (Cesag), l’économie (Universités), l’enseignement supérieur, le central banking régional, les administrations publiques nationales, les Communautés Économiques Régionales...
Non incorporée, elle se traduit généralement par la spécification des incertitudes majeures et la construction de scénarios, l’identification des facteurs de rupture laissant ainsi aux parties prenantes le soin de tester leur capacité d’absorption (Zone Fcfa, prospective financière climatique, mondialisation), d’énoncer la vision et les options qui en découlent (Uemoa 2030, Eac 2030).
3.1. La première vague lève un tabou
Elle se propage au sein de la Zone franc cfa, exposée à un choc potentiel exercé par le programme d’union économique et monétaire européenne en gestation. La décision d’aborder la problématique du futur de cette zone se heurte à des tentatives de blocage, de discrédit et de récupération qui finissent par révéler le véritable enjeu depuis que l’éditeur du Plan Marshall y exerce un droit de propriété exclusive réduisant les anciennes puissances coloniales au rôle de vigile en dépit des appels incessants à la restitution de leur patrimoine, quitte à répliquer approximativement la télépathie synthétique en organisant des simulations sur le continent à l’aide de sabre, lingots d’or, statuts, devises, masques et autres fétiches.
Blocage du fait qu’aucune ressource bibliographique relative à la méthode prospective n’était encore pas accessible et qu’aucune information ne filtrait sur le projet européen frappé du sceau de la confidentialité. Les documents et données relatifs à la Zone fcfa étant encore exclusivement réservés aux autorités monétaires, il était ouvertement interdit de se mêler de cette question, y compris aux Nations Unies. Les autorités monétaires africaines sont dissuadées d’y participer et l’une d’entre elles qui avait osé passer outre se retrouve sans Gouverneur pendant 3 mois parce que ce dernier avait eu le courage d’exprimer son intérêt pour l’exercice. Toutes les personnes ressources africaines potentiels contactées - tant par leur position professionnelle qu’académique - déclinent l’invitation soit par peur de se compromettre soit par prudence, embarrassées par la sensibilité et la complexité du sujet.
Discrédit derrière des arguments d’autorité : la monnaie unique ne devait rien changer dans le régime monétaire et financier des pays membres de la Zone fcfa, encore moins dans les relations eurafricaines encadrées par la Convention de Lomé ; et puis des pays exsangues sous l’effet cumulé de la sécheresse et des programmes d’austérité devraient garder la tête basse.
Récupération en s’appropriant - une fois les réponses possibles esquissées sous forme de scénarios - l’initiative d’approfondissement par l’intégration économique et monétaire africaine depuis l’Afrique de l’Ouest et du Centre.
Toutes ces tentatives ont été contournées par la CEA en particulier grâce à la détermination de A. Adedeji, l’opiniâtreté de B. Wa Mutharika et la connaissance fine du Système Monétaire International par S. Nana-Sinkam qui a rendu accessible son manuscrit (1991, PUF). La conduite de l’exercice à son terme ouvre une brèche qui déclenche une violente réaction avec l’organisation de l’évasion massive des capitaux, la dévaluation du Fcfa et la médiatisation de l’humiliation de l’Afrique du seul fait d’avoir initiée un tel exercice et surtout l’appropriation de l’un des scénarios, à savoir la transposition mécanique de l’UEM en Afrique de l’Ouest et du Centre. Cependant le tabou est levé, plusieurs conférences, articles mettent le sujet à l’ordre du jour. La première vague se conclut par une alerte qui évite l’humiliation des dirigeants africains sommés de se rendre à Canossa. Elle permet d'éviter d’autres évasions massives de capitaux orchestrée avec l’appui de médias.
3.2. La deuxième transporte la démarche au plus près des pays
Interroger l’intégration régionale (1998) depuis un pays enclavé (Burkina Faso) permet d’adresser la question de la mondialisation de l’Afrique (1999) pour l’inscrire - à froid - dans l’agenda d’un pays africain (Bénin). Ces deux exercices constituent sans doute une première mondiale et déclenchent la prise de conscience que l’Afrique n’est plus seulement un enjeu mais bel et bien un acteur. Se faisant, elles percutent l’illusion lyrique qui se dessine derrière la Tragédie des Communs dans le Sahel et ses produits dérivés, brisent l’emprise que le complexe miam exerce sur les pays africains à travers la prospective. Mais comment donc des pays moins avancées, pauvres et endettés peut-il surgir des hypothèses qui en font le précurseur d’innovations radicales ? Comment est-il possible d’aller à l’encontre de la programmation effectuée par la défense américaine de « guerres africaines en 2022 ? Le dispositif d’assistance bilatérale n’hésite pas à tenter une reprise en main des exercices, y compris par l’intimidation des dirigeants africains.
La tentative récupération atteint le sommet quand le contenu de l’un des scénarios ( hyper-monde ) est repris dans d’autres exercices portant sur des secteurs comme l’agriculture, le commerce, la défense après avoir tenté de le discréditer dans un ouvrage téléguidé sur les réflexions prospectives en Afrique censé pourtant servir de « guide ». La volonté d’affirmer un monopole sur les études nationales de perspectives à long terme ne saurait être mieux illustrée. De même que la faible capacité d’absorption du complexe Miam qui répand ainsi les fléaux de la médiocrité et de la corruption.
Pendant ce temps la voie à cinq autres exercices qui propulsent l’Afrique dans le XXIe siècle venait d’être tracée à partir d’une démarche d’analyse séculaire et prospective.
3.3. La troisième vague propulse l’Afrique dans le XXIe siècle
Plusieurs exercices alimentent le Sommet du Millénaire à travers la Commission Indépendante mise en place par le Secrétaire Général des Nations Unies K. Annan pour rendre effective la contribution du continent à cette réflexion inédite. Ils pointent les faiblesses du système international, la myopie de la science et de ses réseaux ainsi que les représentations du futur véhiculées par les discours des dirigeants africains avant d’élaborer une vision et des propositions pour le XXIe siècle. Cette démarche passe au crible les modèles d’assistance, de coopération et de renforcement des capacités tout en avertissant sur les pros et cons du « partenariat entre riches et pauvres » à la lumière des leçons du Plan Marshall. La troisième vague déconstruit le modèle multilatéral hérité des années 50 et rend inévitable la disruption du non-système international.
3.4. La quatrième sonne le glas de « Europe Barbare »
La quatrième vague (2010) aborde l’espace Uemoa et la finance climatique deux thèmes toujours d’actualité à travers l’imbroglio de l’Eco et celui du Fonds Vert. L’exercice « Uemoa 2030 », au-delà de l’identification des facteurs de rupture et de l’esquisse des scénarios, illustre bien les tentatives de blocage, de discrédit et de récupération. Il repousse l’ultimatum à peine voilé du lobby de la prospective « si vous ne savez pas identifier dans un bref délai (15 jours) les « Wild Cards » de l’espace Uemoa alors des forces spéciales armés de Pert, Delphi, MicMac, Morphol et de fiches variables débarqueront en masse et le faire à votre place le temps qu’il faudra. L’opération sera renouvelée autant de fois que nécessaire quitte à changer le nom ». La preuve est fournie que la prospective est une arme de destruction massive au cœur de l’arsenal militaire comme l’avait codifié S. Shaschnow (1992), ses prédécesseurs et successeurs. « Uemoa 2030 » illustre l’importance de la résistance prospective à mettre au crédit de S. Cissé compte tenu du prix élevé payé, y compris dans l’espace Uemoa et Sahélien.
Quant à l’exercice de prospective financière climatique, il dégage par la grande porte le concept « d ’action concertée » habilement utilisé comme sous-jacent du Fonds Vert pour le Climat sans que les tardifs petits pollueurs en maîtrisent la portée. Il montre les limites des stratégies dites d’adaptation/atténuation, d’aide humanitaire, d’assurance multi-support et de soutien à la géoingénierie. Bien informés, les BRICS et autres pays en développement rejoignent la négociation sans pour autant parvenir à éviter avec la Cop21 le retour par la fenêtre de « l’action concertée » derrière les pollueurs historiques. Il a fallu attendre la COP26 pour admettre du bout des lèvres l’échec de la tentative de se réfugier derrière celui « d’engagement non contraignant ». Cet exercice théorise en même temps la posture à adopter par l’Afrique en particulier à savoir « le développement erga omnes ».