Regional Foresight
Franc Zone , Africa et Europa ; 1993

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POINT DE VUE : la Zone Franc, l'Afrique et l'Europe
(Droit de réponse envoyé au Journal le Monde et non publié)

 
Selon Edouard Balladur s'exprimant dans Le Monde du 23 Septembre 1993*, la France ne souhaite ni que son destin et celui de l'Afrique empruntent des voies trop divergentes, ni qu'elles ne puissent penser ensemble leur avenir. Assurément le prisme à travers lequel il saisit l'image d’un continent en mutation autorise cette pétition de principe en même temps qu'elle constitue un avertissement contre toute stratégie du limes qui ferait de l'isolement de l'Afrique une ligne de conduite. Pour l’instant les pays africains découvrent, non sans une certaine stupeur, que la logique de l'affrontement concurrentiel est devenue déterminante dans leur relation au monde, alors que leurs modelés décisionnels continuent de reposer sur des savoirs devenus archaïques.
 
Il existe au moins deux domaines ou une réflexion partagée permettrait à la « solidarité exigeante » de se concrétiser entre l'Europe et l'Afrique, à travers la Zone Franc ; cette zone menacée d’exclusion du processus d'intégration en cours dans le continent tant elle éprouve de réelles difficultés à secréter un modelé de croissance endogène. Serait-elle à ce point l'image inverse de la France, qui a par contre si bien réussi dans son rôle de locomotive de l'Europe et même rattraper le niveau de productivité des Etats Unies en moins d’un siècle et demi.
 
Les scénarios mondiaux qui accordent une place à l'Afrique sont quasi-introuvables. L'interrogation de la sérieuse revue britannique The Economist paru le 11 Septembre donne au Professeur Ali Mazrui l'occasion de dessiner les nouvelles frontières du continent dans 150 ans. L’Islam, le Nigeria et les Haoussas y sont présentés comme étant les principaux facteurs d'intégration dans l'espace ouest-centre. Cette image de l’avenir est suffisamment cohérente pour servir de référence aux enjeux de la Zone Franc et à l’ampleur des transformations qu’elle devra réaliser pour espérer jouer un rôle de premier plan dans l’organisation du continent.
 
La France se contredirait si elle persistait dans son soutien à la stratégie d’attachement aux règles fondatrices de la Zone franc, niant ainsi toute perspective de changement structurel. Ces règles la mènent tout droit à la sclérose ; et l'éternel "emboîteuse du monde”, comme aimait à le dire Jean Giraudoux, n'en serait plus à une contradiction près, elle qui multiplie sous nos yeux les initiatives pour imprimer sur la mondialisation la marque européenne.
 
Les propositions d'Edouard Balladur s'inscrivent dans le scenario d'ajustement mécanique de la Zone franc à l’Union Economique et Monétaire européenne, qui s'est spontanément imposé depuis 1987, avec toute une série de conséquences néfastes, en termes de surévaluation due à l'ancrage du FCFA sur le Mark allemand. L’impossible émergence de centres financiers dignes de ce nom et de façon générale l'endettement structurel des différents pays perpétuent la mise en œuvre de solutions du type aide financière ou assistance technique extérieure et accentuent la dualisation entre l'administration centrale et ses clients d’une part, le secteur privé et associatif d'autres part. Reconnaitre aux institutions de Bretton Woods le statut de chef de file pour les réformes n'y change pas grand-chose parce qu’elles n’ont vocation à appuyer que des programmes d'ajustement par le financement extérieur, ceux-là qui sont les plus sensibles à des conjonctures financières internationales défavorables, ceux-là qui se traduisent le plus souvent par la réduction des investissements.
 
Pourtant la capacite de résistance dont a fait preuve le FCFA face aux assauts spéculatifs depuis un an et la réputation d'indépendance des Banques Centrales émettrices incitent à encourager davantage de flexibilité à travers une bande large de fluctuations des monnaies individualisées des pays ; ce qui aurait au moins le mérite de les positionner sur une échelle de compétitivité et de créer la possibilité pour les entités situées à son voisinage de s'y raccorder à un coût raisonnable. La Commission Européenne est très attentive à ce scenario, comme nous avons eu à le constater en 1989, à l'occasion d'une mission des Nations Unies CEA sur "l'impact de l'évolution du SME sur le régime monétaire et financier des pays africains membres de la Zone Franc ", dont le rapport final a été mis à la disposition des gouvernements africains en 1991 lors de la Conférence des Ministres des finances. Les gains en termes d'apprentissage dans la gestion de la politique d’intégration justifient à eux seuls cette évolution vers une zone économique et monétaire africaine dont le pivot central serait l'actuelle Zone Franc, à l'heure où les règles du jeu de la concurrence s'appliquent aussi bien aux Etats, aux Banques Centrales qu’aux blocs régionaux.
 
Le principal problème auquel se heurte l'Afrique est de savoir comment lever les obstacles structurels à la croissance. Principalement ceux qui sont source d'improductivité et de régression des revenus par tête. Bien que les difficultés des pays aillent au-delà de la faiblesse de la capacite d'analyse de systèmes et de jeux d'acteurs, la formation de cette capacité peut apporter une contribution décisive, surtout en ce qui concerne l'apprentissage d'un modèle de croissance endogène. Or la France, en la matière ne propose aux pays africains, que la traditionnelle assistance technique et à la sécurité, au risque d'ailleurs d'entrer en conflit avec le FMI, qui fait à présent de la réduction des dépenses militaires une condition-cadre à satisfaire pour accéder à ses ressources. La croissance économique nécessite de réaliser des investissements à long terme en infrastructures, en recherche-éducation-formation, en modernisation technologique et en projets industriels. Le choix résolu de ce modèle de croissance endogène, qui a si bien réussi sous d'autres cieux, représente la première concession à la rigueur et le premier pas dans la même direction.

Sams Dine Sy, Septembre 1993

 
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* La France et l’Afrique : une solidarité exigeante, le Monde du 23 Septembre 1993,  N° 15133