Chaîne de Valeur Migratoire

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Sams Dine Sy

                      
Cousins Tunisiens, Scrutez La Chaîne De Valeur Migratoire !

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Le voyageur Ouest-Africain ayant souvent parcouru, d'est en ouest et dans le sens contraire, la région Nord-Africaine quand elle était encore stable n'en retient souvent que l'accueil en Tunisie. "Vous êtes nos cousins. Bienvenue chez nous ! ". D'où l'indignation et déception provoquées par la malencontreuse sortie de son dirigeant qui manifestement ignore tout du parcours de son pays dans la chaîne de valeur migratoire. Depuis les chocs pétroliers des années 70, les tunisiens y jouent un rôle majeur au profit des régions qui les ont le plus subies, à savoir l'Afrique du Nord et l'Ouest Asiatique. L'essentiel des tâches domestiques, administratives, commerciales, techniques, sanitaires et éducatives y étaient réalisées par des migrants tunisiens. Le dynamisme économique héritée des années 60-90 et la répression qui a suivi en étaient le principaux moteurs.

La place de ce pays dans les migrations africaines et arabo-berbères est largement documenté. Son statut de précurseur aussi avec le "Printemps Tunisien" qualifié abusivement " de Printemps Arabes" sans doute en souvenir des "Révoltes" du même nom, bien illustrées par trois cartes dans "Seven Pillars of Wisdom: A Triumph. T. E. Lawrence 1922" avec des titre évocateurs : première phase, deuxième phase et victoire finale. La tragédie du 11/09 et la globalisation de la violence et de la terreur qui en découle déstructure - entre autres conséquences - la chaîne de valeur migratoire sous contrôle tunisien, quand tout l'espace ouest asiatique puis lybien devient un terrain d'expérimentation des Grandes Puissances avec "Desert Sabre - Desert Storm (Ouest et Centre Asie)" puis "Sahel Storm- Sahel Sabre (Nord septentrional et Ouest méridional) ". Les migrants tunisiens en ont été les principales victimes collatérales, obligés de retourner dans leur pays d’origine sous la double pression de l'insécurité et de la concurrence de migrants issus des zones détruites en direction des pays du Golfe. Cette féroce concurrence est exacerbée par les mouvements migratoires sub-sahariens avec qui ils cohabitaient en Lybie jusqu'à ce que la déstabilisation de ce pays par les grandes puissances les transforme en réfugiés sur le sol tunisien. Pour ne rien arranger, ils sont réduits en butin pour l'industrie migratoire souterraine quand toujours la Lybie est prise en otage par les mercenaires wagnériens soutenus par des forces spéciales agissant au nom de groupes d'intérêt tendance à agenda privé. Ironie du sort, ce sont les mêmes groupes d'intérêt qui critiquent sans arrêt aujourd'hui la présence de ces mercenaires au Sahel.

Comment dans ces conditions expliquer la sortie du dirigeant tunisien en totale contradiction avec l'histoire migratoire de son pays ? Sans doute - comme c'est souvent le cas - l'existence d'une fenêtre d'opportunités. Les regards se tournent naturellement vers ces mêmes grandes puissances soucieuses de reprendre le contrôle de la chaîne de valeur migratoire dont la structure très évolutive les exposent à bien des surprises. La toute dernière tentative de "Reset" en matière de "Politique Africaine" d'une puissance en déclin illustre cet objectif quand - de par son nombre et sa vitalité - la jeunesse africaine continue d'être la "cible stratégique" dans le genre "Qui tient ses jeunes talents tient l'Afrique. Qui tient l'Afrique tient la solution démographique et économique au réchauffement de la planète". On ne saurait mieux trahir un net penchant démoressourciste alors que cette jeunesse n'est pour rien dans ce déclin sans fin encore moins dans la multiplication des événements extrêmes.

L'actualité récente tant sur la Tunisie que sur la question migratoire offre aussi quelques pistes. Son dirigeant cherche-t-il seulement à faire plaisir au nouveau maître de Twitter dans l'espoir de disposer d'un droit de regard sur tout ce qui se dit sur son pays ? Une autre fenêtre pourrait aussi découler de ces "conditionnalités informelles" qui président aux destinées du soutien financier extérieur sans lequel le pays devient exsangue : faire plaisir à certains partenaires influents dans l'obtention de ce soutien et qui voudraient bien faire de la Tunisie la plateforme de départ des matières grises pour combler leur déficit en personnel médical, enseignant et technique; s'en servir comme modèle dans l'accueil des migrants dits "irréguliers" y compris tunisiens; affaiblir l'Afrique dans l'espoir de reprendre ce continent en main...

La volonté de faire diversion est aussi évoquée quand la Tunisie régresse dangereusement en une théocratie-monarchique pire que celle ayant déclenché le fameux printemps. D'où l'importance d'analyser en profondeur la chaîne de valeur migratoire plutôt que de jeter l'opprobre sur ce peuple de migrant qui ne mérite pas une telle dégradation au point de stigmatiser d'autres migrants, leurs semblables et cousins. La Tunisie est bien placée pour servir d'exemple aux autres pays africains tant le sujet devient de plus en plus complexe sous les effets croisés de la transformation systémique en cours qui affecte déjà toutes les politiques publiques et comportements partout dans le monde.
Sams Dine Sy,
28 Février 2023
*Ancien facilitateur spécialisé dans la gestion de groupe d’experts
Animateur de la plateforme Prospective Globale et Analyse de Politique
https://samsdinesy.org/

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