IL FAUT SAUVER L'EUROPE !

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Il Faut Sauver l'Europe !
Sams Dine SY*   28/09/2021

.Aux termes des élections législatives fédérales du  26 septembre 2021, l’Allemagne confirme deux échéances décisives pour son avenir : mettre la capacité fédérale en état d’hibernation le temps de connaitre l’issue des élections américaines de mi-mandat  en 2022 et confirmer d’ici 2042 l’adage selon lequel « et à la fin c'est l'Allemagne qui gagne toujours ». Ce choix, impose de fait un choc d’inertie sur toute initiative européenne de portée internationale, le temps que les USA se prononcent et décident  du sort de l’Alliance Atlantique. L’ampleur de ce choc et ses effets de débordement sur tout le voisinage européen obligent à voler au secours de l’Europe avant qu’elle n’emporte tout sur son passage.

Commençons par examiner les conséquences potentielles pour l’Europe des élections de mi-mandat en passant au crible les deux visions des USA qui s’affrontent, chacune ayant des conséquences directes sur leur principal allié européen, à savoir l’Allemagne.  La grille d’analyse utilisée ici actualise celle de  "the Seven Culture of Capitalism ; Hampden-Turner C.  & Tropenaars F. (1993) Double Day New York" qui, à l’aide de la typologie individualisme/universalisme versus holisme méthodologique/particularisme, essaie de classer les pays et régions selon des déterminants culturels. Bien que cette grille ait été remise en cause, elle n’en est pas moins une base utile dès lors que le déterminant est la figure de l’entrepreneur politique  (J.W. Kingdon : Agendas, alternatives, and public policies. 1984. Little, Brown ).

La première vision s’appuie sur la théorie démo-ressourciste qui s’incarne dans la forme la plus pure de l’entrepreneur politique profondément ancrée dans un individualisme à prétention universaliste. Le reste du monde n’existe qu’à travers ses ressources qui doivent être en accès libre. Cette vision permet de justifier l’assimilation de la sphère anglophone européenne dans le système néo-westphalien qui préside aux destinées des USA depuis leur création. Le but est d’abord de rééquilibrer les tendances démographiques défavorables tout en assignant à l’Europe le rôle d’hélice en tant qu’espace de projection et de « containment » de la Chine et la Russie. L’Allemagne est le cœur battant de l’hélice compte tenu du degré d’interdépendance économique avec ces deux derniers pôles. Elle devra alors faire un choix entre l’assimilation au monde anglophone autour des USA entraînant l’Europe dans son sillage et l’isolement par la rupture avec l’Otan qui sera alors interprétée comme une déclaration de guerre. Le rappel à l’ordre sera immédiat comme d’habitude, chaque fois qu’un pays allié se livre au jeu trouble. Pour gagner cette « guerre », l’Allemagne devra dans un bref délai déployer directement sa capacité militaire après l’avoir sous-traité à la Chine depuis les années 90, révélant ainsi un processus patient, discret et attentif de construction d’un agenda de puissance. La coalition entre l’Allemagne, la Chine et la Russie contre les USA laisse en rade les autres pays européens qui se livrent au jeu habituel de collaboration avec chacune des parties dans l’espoir d’une issue sans vainqueur ni vaincu après deux décennies de conflits  et de barbarie. Comme lors de la dernière guerre mondiale, il sera fait appel à tous les tirailleurs, harkis et autres « laptots » pour sauver l’Europe de la débâcle. Il n’y aura pas d’autre Plan Marshall puisqu’à la fin tout le monde perd.

La seconde vision s’appuie sur une posture contradictoire dès lors qu’elle se proclame universaliste et individualiste en théorie alors que dans les faits elle est particulariste et holistique. A force de tenir des discours contradictoires, elle attribue au déclin de l’occident des causes exogènes pour ne pas s’attaquer à l’explosion des inégalités, au vieillissement de la population et à la multiplication des événements extrêmes. Cette posture permet néanmoins d’exclure les suprématistes et les extrémistes tout en favorisant les compromis bipartisans. Elle est majoritaire sans pour autant chercher à s’affirmer comme telle. D’où toutes ces décisions unilatérales, imprévisibles, choquantes parfois comme la mise en place sous-marine de la capacité nucléaire en Australie pour une utilisation destructrice partout où c’est nécessaire.

En cas de victoire à l’issue des élections de mi-mandat, la différence avec la première vision portera davantage sur la forme que sur le fonds. L’intégration de l’Europe - en lieu et place de l’assimilation - se fera en douceur si l’Allemagne arrive à convaincre de l’existence d’une communauté anglo-saxonne compatible au nom du holisme méthodologique avec les idéaux universalistes affichés par les USA à la face du monde.  En guise de preuve, ces derniers s’accordent sur une initiative Building Back Better World (B3W) dotée d’une véritable architecture de grande échelle, d’un budget de plus de US$ 6 Mille Milliards et ouvert au reste du monde. Cette intégration implique néanmoins une rupture institutionnelle unique dans l’histoire des USA dès lors que ce pays bascule dans un système Post-Westphalien dont les contours restent encore à préciser. La contribution de l’Allemagne à la définition de ce système sera décisive compte tenu de son histoire politique.  Tout dépendra surtout de sa capacité à s’émanciper de l’approche ordo-libérale pour mieux incarner - ne serait-ce qu’en théorie - la vision universaliste. Deux décennies ne sont pas de trop pour accomplir ce retournement car il faudra aussi convaincre les partenaires européens notamment du Sud plutôt ancrés dans une conception particulariste et holistique aussi bien en théorie que dans les faits. En guise d’échange de faveur, leur sera offerte la possibilité de continuer à servir de vigile de l’immigration notamment dans le Sud Méditerranéen, à condition toutefois de rompre avec la démarche en vigueur depuis les années 60 qui consiste à une mise en place souterraine de capacités destructrices pour annihiler toutes les tentatives d’émergence d’états indépendants. Les rappels à l’ordre vont donc se multiplier en cas de tentative de fragmenter des pays africains pour tout y contrôler. Du reste, un essai clinique (Randomized Controlled Trial, RCT) se déroule en temps réel dans le Sahel septentrionale et méridionale à l’issue duquel l’on saura si l’Europe se laisse encore entraîner dans des guerres inutiles provoquant sa dissolution ou si la lucidité l’emporte.

Les marges pour sauver l’Europe sont bien étroites et rien dans le discours européen ne facilite l’opération. Continuer à parler du déclin de l’Occident ou se réfugier derrière le mythe du Grand Remplacement rend la tâche d’autant plus difficile. Il n’ y a pas déclin mais un Occident qui s’au-détruit suite à l’explosion des inégalités entre et sein des pays déclassant la majorité de sa population ; un occident qui se réfugie derrière un climato-quiétisme pour transférer la charge du pollueur aux autres avec la complicité du GIEC et de tous les écologistes; enfin un occident qui préfère une population vieillissante en tant qu’argument pour réduire la croissance démographique surtout dans les pays disposant d’une jeunesse abondante. De même, en matière de grand remplacement, il serait peut être temps de s’occuper de celui qui a lieu en temps réel quand « anglais » et « italiens » cèdent progressivement à « allemands » leur place sur la promenade et le boulevard.
 
 
                                                                                                                                              Sams Dine Sy, 28 Septembre 2021
*Ancien facilitateur spécialisé dans la gestion de groupe d’experts
Animateur de la plateforme Prospective Globale et Analyse de Politique qui regroupe ses articles, études, ouvrages et méthodologies en accèss libre
https://samsdinesy.org/