Eco : touché mais pas coulé !

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ECO : 
TOUCHÉ MAIS PAS COULÉ
04/07/2021

L’Eco pose la question de l’identité ouest africaine. L’année 2020-21 a été dominé par l’alternance d’attaques par déni de souveraineté et de déclarations emphatiques révélant à quel point l’enjeu monétaire est inextricable du militaire, fiscal et industriel. La région s’est retrouvée au cœur de divisions et de conflits d’intérêts révélateurs de la dimension globale de son projet de monnaie unique.
 
LE « VOILE D’IGNORANCE » 
POUR EVITER DE COULER

La confusion est telle que le gagnant n’est pas celui que l’on croit et les perdants n’ont pas dit leur dernier mot. Surtout après la décision d’adopter le Pacte de Convergence et de Stabilité Macroéconomique (PCSM) 2022-26 ainsi que la feuille de route pour le lancement de l’Eco en 2027 (point 34 du Communiqué Final de la 59e Session Ordinaire de la Conférence des Chefs d'état et de gouvernement, 19 juin 2021, Accra, Ghana). Aux tribulations sur l’Eco-Cfa qui s’est infiltré telle une munition rôdeuse dans tout le processus, s’ajoute le jeu du Nigeria qui rappelle celui non moins habile de l’Allemagne des années 90 quand ce pays retardait l’avènement de l’Ecu, le temps de parachever l’intégration du marché européen dans le sien. Le rythme de progression vers l’aval des chaînes de valeur de ce poids lourd africain notamment dans la fabrication en open source augure de la même performance d’ici la fin de la décennie.
 
Au-delà de la maladresse, il y a surtout de la médiocrité ; la même qui s’est traduite dans les années 90 par des dévaluations en cascade au sein du Club Med et du Club Cfa dont les sorts sont décidément liés, pour le pire en attendant le meilleur. Surtout depuis que la pandémie du Covid 19 a projeté un épais effet de halo, tel un choc commun dont l’impact direct mondial passe pour temporaire alors que les effets asymétriques s’amplifient à mesure que les inégalités vaccinales et monétaires explosent. Tout se passe comme si la levée des brevets sur les vaccins sans ralentir l’innovation allait de pair avec l’ouverture grande des vannes de la monnaie sans provoquer de récession.  Il en sera ainsi tant que la justification de l’Eco privilégie la méthodologie économique - noyau dur de l’analyse positive de politique - celle-là même qui favorise la capture des régulateurs par le jeu de la collusion.
 
A présent la question est de savoir si les deux décisions sont prises derrière ce « voile d’ignorance » qui prive les parties prenantes de toute connaissance sur le processus conduisant à l’échéance 2027. Ou au contraire, s’ils se contentent d’une réplique en miniature tronquée du Système Monétaire Européen (SME), à une différence près : en un demi-siècle, ce dernier a bénéficié du soutien massif du monde académique et du FMI dont la contribution à « One market, one money, European Economy n°44, 1990 » a été décisive pour simuler les chocs et les régimes de change.
 
La réponse à la question va de soi tant que le paradigme positiviste offre à l’économie le privilège de s’opérationnaliser dans l’analyse de politique, réduisant le processus politique à une heuristique des étapes au sein d’un cycle unique, quitte à le renouveler après chaque crise.  Comme pour l’Ecu européen des années 90, ces décisions se contentent de redéfinir la première étape (PCSM 2022-2026) et la troisième (union monétaire et Eco 2027). La Feuille de route renvoie à la phase de transition, aboutissement du compromis sur le rôle de la convergence entre les tenants d’une transition courte (Eco-locomotive de l’union économique) et les partisans d’une transition longue (Eco-couronne de l’union économique).  Ce compromis nécessite la mise en place d’un « Eco-panier » constitué, soit des valeurs pondérées des monnaies nationales au risque de renforcer le Naira ou le Cfa, soit d’un panier de devises (Euro, Dollar, Yuan, Livre sterling) au risque d’en hériter tous les problèmes. Dans les deux cas l’Eco-panier s’expose aux conflits d’intérêts et aux chocs mais contrairement à son modèle (Ecu-panier), il n’aboutira pas de sitôt pas à une monnaie unique faute de REX ou retour d’expérience.
 
La notion de « voile d’ignorance » (J. Rawls, Théorie de la justice, Cambridge, MA : Harvard University Press, 1971) remet en cause ce privilège au point de dessiller le regard sur le processus et l’échéance de l’Eco et d’influencer son agenda. Une définition simple permet de la contextualiser : des décisions sur l’échéance et le processus de l’Eco prises sous le « voile d’ignorance » permettent aux pays membres de se prémunir contre les chocs (stabilité interne et externe) et de faire face aux problèmes de blocage du processus (efficacité interne, efficience dynamique). Ce faisant, ils identifient de façon exhaustive les avantages et les coûts de l’Eco monnaie unique et décident de leur répartition dans le temps et dans l’espace. Le tout sans établir une hiérarchie entre les principes de liberté, de différences et d’égalité des chances (équité). On l’aura reconnu, cette définition transpose dans le domaine de l’intégration régionale la théorie de la justice revisitée par l’approche de A. Sen pour mieux prendre en compte la liberté positive dans l’évaluation de l’impact sur le bien-être et les capacités substantielles.

 SAPIENS, NARRANS, COGNITANS 
QUELLES INCIDENCES SUR L’ECO ?

Pour vérifier l’existence d’un épais voile d’ignorance autour des dirigeants impliqués dans le processus de l’Eco, il suffit de soumettre à un examen critique leurs réactions face aux chocs et aux stratégies de capture des régulateurs qui s’annoncent. Ces réactions révèleront dans quelle mesure l’Eco avance comme le Titanic ou se propulse telle une monnaie globale dans un monde en recomposition. Le point 30 du Communiqué final fournit une première indication. Il fait référence au New Deal sur le financement des économies africaines, lequel s’inscrit dans « Building Back Better, B3 » lancé par les USA avant d’être élargi au Reste du Monde (B3W) lors du G7 2021 pour contrer la Chine de « Belt Road Initiative, BRI ». Dans la foulée, l’Otan réactive le concept de Triade qui, à la différence de celle des années 90, intègre les USA, l’Europe et le Japon au sein d’un pôle unique, les deux autres étant occupés par la Chine et la Russie.
 
Sauf que ce New Deal n’a rien de nouveau. Point n’est besoin de remonter aux années 30, car il a été expérimenté lors du G7 2019 marqué par un conflit d’intérêts passé inaperçu. Un nombre record de participants (21) dont plus du tiers venant du continent africain y compris un Chef d’état sur trois. L’explication se trouve dans l’affichage discret d’une main tenant un Grand Cru comme signe de la levée des sanctions contre les produits de luxe importés aux USA en échange de cette invitation massive de dirigeants africains pour éviter d’en voir arpenter le golf de Mar-a-Lago au cours du G7 2020. Le report de ce dernier suivi de son annulation ne suffit pas pour le jeter dans l’oubli. Aussi, y faire référence en 2021 - loin de toute ambition et audace  - en dit long sur l’incapacité à s’extirper de l’emprise démo-ressourciste qui a eu son heure de gloire aux USA durant la seconde moitié de la dernière décennie. Noter au passage qu’à ce jour aucun des dirigeants du G7 n’a dénoncé ce deal.
 
Le recours à la métaphore permet de comprendre ce qui s’est joué au cours du G7 2021 : de retour dans l’arène international, Sapiens s’humanise Narrans avec B3W. Mais pour convaincre le reste du monde dubitatif, il se transhumanise Cognitans au sein de la Triade pour servir de modèle quitte à déclencher un nouveau Clash contre les deux autres pôles. New Deal ne serait donc qu’une façon de souhaiter la bienvenue à l’Etat Fédéral ; avec l’Afrique sur un plateau en échange de faveurs pour l’UE et les autres membres du G7. Le Master Plan B3W permettra sans doute aux USA de s’identifier à la Plateforme Globale après le coup d’essai réussi avec les Gafam, déclenchant ainsi avec le Dollar et la Réserve Fédérale un processus inédit de transformation systémique. Propriété exclusive des USA, ce Master Plan étouffe toute velléité de transformation des systèmes monétaires, financiers et d’innovation ailleurs surtout en Afrique. Aussi, toute réaction passive face à cette manœuvre 
stratégique envoie le signal d’abandon de l’Eco, l’unique projet de monnaie globale à même de déclencher la refonte du système monétaire et financier international, la dissolution du Conseil de Sécurité, la reconversion de l’Otan au service de la paix et le rééquilibrage des interactions entre précurseurs et suiveurs au sein des systèmes d’innovation au nom de la solidarité.
 
L’Eco est à la croisée des chemins et les dirigeants impliqués sont au milieu du gué. Il n’y a pas lieu d’être fataliste devant les attaques par déni de souveraineté ou séduit par toutes ces déclarations empathiques. Elles révèlent à quel point l’Eco est au cœur de l’agenda mondial. Selon leurs réactions, la « Tragédie des Communs dans le Sahel » est déconstruite sinon, le glas du continent sonne. Nul ne saurait à présent « ignorer le voile » en tant que processus visant à écarter les mauvaises décisions, prendre les bonnes et faire face aux problèmes de blocage suite à la capture de régulateur.
04/07/2021
Sams Dine Sy
Ancien facilitateur spécialisé dans la gestion de groupe d’experts
https://samsdinesy.org/